publié par Danièle
La vie des bateliers
La plupart du temps, on ne devient pas
batelier, on nait batelier. Dès l’âge de 5 ans, les enfants apprennent à
naviguer sous la surveillance attentive de leurs parents. Pour devenir batelier,
il faut un CAP et une expérience de la navigation, souvent avec les parents.
C’est également fréquent que leur première péniche soit payée par les parents. Le
marinier gagne peu malgré le nombre d’heures travaillées. De plus, les
bateliers doivent verser une cotisation obligatoire. Il faut avoir le goût du
voyage, de l’indépendance et de la liberté... Ce sont, en quelque sorte des
« gens du voyage).
Pour les mariniers, le
principal risque à bord est de tomber à l’eau, toujours présent, avec ses
risques d’hypothermie lorsqu’il fait froid. Pour les enfants, surtout en bas
âge, c’est le risque de noyade qui est le plus important. C’est pourquoi on peut
attacher les plus jeunes grâce à un harnais, ce qui est parfois une mesure
indispensable, même si elle surprend les « gens d’à terre ». Pour
tous, le gilet de sauvetage peut permettre d’éviter le drame. Les câbles et
cordages, maintenant en nylon) doivent être maniés avec beaucoup de précaution.
Un pied qui se prend dans un câble, et c’est la chute assurée, voire une jambe
coupée!
Il vaut mieux
avoir le sens de l’équilibre et faire attention lorsqu’on parcourt les
plats-bords (50cm de large) plusieurs fois par jour. En effet lorsque la
péniche est à vide, elle est peu enfoncée et les plats-bords surplombent de 2,5
m le niveau de l’eau. La péniche elle-même est constamment soumise aux risques
de la navigation. Celle-ci peut s’avérer particulièrement dangereuse par temps
de brouillard lorsque ni les ponts, ni les autres bateaux ne sont visibles. De
nos jours les recours au radar et au radiotéléphone sont appréciables.
Pareillement, lors des grands froids, la
glace devient le pire ennemi du batelier. A moins dix degrés, il faut briser
tous les jours la glace qui se forme autour du bateau pour protéger la coque
lors du dégel.
La vie domestique :
Vivre sur
l’eau rend plus pénible les tâches de la vie de tous les jours. A chaque chargement ou déchargement,
des poussières de charbon, de sable, de ciment ou de blé se déposent et il faut
recommencer à faire briller les carreaux, les parquets et les cuivres qui font
la fierté de la marinière. D’ailleurs, on n’entre jamais dans la timonerie ou
la cabine avec ses chaussures ! Il faut également apprendre à s’organiser
en fonction des horaires de navigation, de l’itinéraire, de la longueur du
voyage, en particulier pour l’approvisionnement en nourriture et en eau.
Heureusement, avec la mise en place de petites citernes sur la péniche, ce
n’est plus la peine d’aller chercher l’eau à terre à la pompe à bras ! Le
batelier fait des réserves de provisions pour plusieurs semaines car les
écluses sont de plus en plus automatisées. Sur le bateau, le travail, les
tâches domestiques et les loisirs sont totalement imbriqués. Polyvalente, la
marinière participe, en plus des tâches ménagères, à tous les aspects de la vie
à bord : navigation, manœuvres, chargements, entretien, comptabilité,
gestion…elle est à la fois femme d’intérieur et matelot, parfois même capitaine
et chef d’entreprise. Lorsqu’un marinier meure ou que le couple divorce, la
femme peut se retrouver en situation difficile car les marinières sont peu
considérées. Quant aux enfants de
batelier, ils étaient peu scolarisés malgré la loi de Jules Ferry qui imposait
une scolarisation obligatoire (mais pas l’école !). Des instituteurs
ambulants ont vu le jour dans l’année 1930 mais sans grand succès. Il faudra
attendre 1954 pour que des écoles nationales d’enfants de mariniers
apparaissent. Ce sont des internats et les parents bateliers passaient les voir
au gré de leur route de navigation. Actuellement, avec les ordinateurs le suivi
des études est plus facile.
L’entretien :
Outil de
travail et lieu de vie du marinier, la péniche est l’objet de tous les soins.
Pour elle, les mariniers deviennent menuisiers, peintres, mécaniciens,
électriciens, plombiers… Avec la généralisation des automoteurs et des bateaux
en fer, le marinier ne se bat plus contre les fuites mais contre les problèmes
mécaniques et les risques de corrosion. La cale doit toujours être propre et
étanche surtout lorsqu’on charge des produits dangereux comme les sulfates de
fer, de cuivre ou d’ammoniaque. Les mariniers profitent de la belle saison ou
de l’attente entre deux voyages pour donner un coup de pinceau par-ci, de pince
à souder par-là… Au bout de quelques années, la peinture et le gazage de protection
disparaissent et il est recommandé de mettre la péniche « en cale
sèche » au chantier naval afin de réparer la partie immergée de la coque.
Attendre la limite réglementaire de 5 ans, c’est s’exposer à des réparations
beaucoup plus importantes et plus coûteuses. Les ouvriers des chantiers navals
entretiennent et réparent les péniches. Il y a le chaudronnier qui s’occupe de
la coque et des structures en fer, le soudeur, le mécanicien pour le moteur,
l’électricien et le menuisier pour la timonerie et la cabine.
Le chargement et le déchargement :
Il n’y a pas si longtemps, charger des marchandises
dans la péniche et les décharger prenait plusieurs jours. Il fallait une
dizaine de jours pour transporter 300 tonnes de charbon dans la cale à l’aide
de paniers appelés « mendes ». Le charbon ordinaire ne nécessitait
pas de tels soins et on pouvait utiliser de longues glissières en bois, ou
encore basculer des petits wagons de charbon dans la cale à l’aide
d’entonnoirs, les « trémis ». Les produits agricoles étaient chargés
à la brouette et il fallait 2 ou 3 jours pour les décharger …à la
fourche ! Le marinier et toute sa famille s’activaient comme les autres.
Aujourd’hui, les grues, les tracteurs et les glissières mécaniques simplifient
le travail des mariniers et des dockers et limitent à quelques heures les
opérations de chargement et de déchargement. Les marchandises doivent être bien
réparties dans la cale pour éviter qu’une partie du bateau soit plus enfoncée.
Pour charger des céréales qui s’écoulent d’un silo, le marinier doit avancer ou
reculer son bateau pour les répartir, et même parfois effectuer un demi-tour
pour équilibrer les côtés gauche et droit. Traditionnellement, ce sont les
marchandises lourdes non périssables et peu fragiles qui sont transportées par
voie d’eau : céréales, engrais, sel, substances chimiques, matériaux de
construction, produits pétroliers, charbon, ciment, graviers et même des
éléments de la fusée Ariane ou des réacteurs nucléaires…Aujourd’hui des
matériaux plus fragiles (ordinateurs, télévisions…) sont aussi transportés par
bateaux, dans des containers.
La navigation :
Avant le
XIXème siècle, les bateaux ne comportaient pas d’espace d’habitation. Le
marinier partait pour des voyages courts et rejoignait régulièrement sa famille
installée à terre. Au XIXème siècle, le développement du réseau des voies
navigables permet au marinier de faire des voyages toujours plus longs et plus
lointains et toute la famille vient s’installer à bord. Les mariniers
deviennent de véritables nomades. A l’époque des bateaux en bois, la cabine se
situe au milieu de la péniche. Tout le mobilier utile est concentré dans ce
petit espace de 20m carré : table, chaises, lits, poêle à charbon,
cuisinière, armoire, penderie… Grâce à des trappes et des placards, chaque
recoin est utilisé. La timonerie ou « marquise » est vitrée des
quatre côtés ; on pouvait enlever le haut (quand il faisait chaud ou lors
d’un passage sous un tunnel bas) mais si il pleuvait, tout était mouillé.
Actuellement, il existe un système de ballastage pour passer sous les ponts.
Dans les bateaux en fer construits au XXème siècle, la cabine est de mieux en
mieux équipée. On y trouve en plus de la timonerie, une cabine avec deux
chambres, une salle, parfois une cuisine avec un lave-linge, un réfrigérateur,
une télévision, des radiateurs…L’alimentation électrique provient d’un groupe
électrogène ou de la batterie du moteur qui fournit de l’électricité en 24
volts. Un transformateur permet de passer de 24 à 220 volts si nécessaire.
Ainsi la cabine n’a rien à envier aux habitations « d’à terre ».
Le passage des écluses :
Jusqu’au XIXème siècle, le principal moyen de
déplacement le long des rivières et des canaux est le halage. Cette méthode
consiste à tirer un bateau depuis la rive avec une corde reliée au mât.
Le halage
« à col d’homme » s’appelle aussi halage « à la bricole »,
d’après le nom du harnais attaché autour de la poitrine des haleurs. Ils
avancent arc-boutés, ce qui leur vaut le surnom de « ramasseurs de
persil » ! Lorsque le chemin de halage est suffisamment large, le
bateau est halé par un attelage de chevaux, d’ânes, de mulets ou de bœufs.
Parfois, il suffit de suivre le courant, ou lorsque le vent est favorable, de
hisser une grande voile, la sémaque. Ces haleurs à la bricole avancent à une
vitesse de 800m/h. Souvent le chemin de halage change de rive et ils perdent du
temps à traverser le fleuve. Lorsque les péniches étaient halées depuis la
rive, le marinier pilotait grâce à une barre horizontale qui lui permettait
d’orienter le bateau. Avec l’arrivée du moteur, la barre est devenue une roue,
appelée « macaron ». Parfois un petit moteur situé à l’avant du
bateau, le propulseur d’étrave, permet de mieux contrôler la direction. Enfin,
dans la timonerie, le tableau de bord comporte de multiples appareils de
contrôle, de mesure et de communication : manette en guise de macaron, boussole,
compte-tours, thermomètre, ampèremètre, manomètre, sonar, radar, interphone… La
navigation sur les canaux rectilignes, où se succèdent les écluses, est très
différente de la navigation sur les fleuves et les rivières, au cours sinueux
et irrégulier. Mais dans tous les cas, le bateau réagit lentement aux
manœuvres : son poids et son inertie nécessitent d’anticiper les passages
délicats et de ralentir plusieurs centaines de mètres avant d’arriver à une
écluse ou de croiser un autre bateau (quelques dizaines de mètre si la péniche
est vide). Au XIXème siècle, sur les fleuves et les rivières navigables, le
halage laisse place à un remorqueur à vapeur qui avance grâce à de grandes
roues à aubes puis grâce à une hélice (à partir des années 1860). Le moteur
diesel remplace progressivement la vapeur à partir des années 1920. Ce
remorqueur tire des convois de cinq péniches de 300 tonnes chacune. Certains
remorqueurs pouvaient tirer jusqu’à 15 bateaux, par exemple sur la Seine entre
Paris et Conflans-Sainte-Honorine. Pour passer dans certains canaux
souterrains, on utilisait un toueur à vapeur, ce qui obligeait les bateliers à
supporter leur épaisse fumée noire pendant toute la traversée du tunnel. Un
toueur est un bateau-treuil qui se tire lui-même à l’aide d’un câble fixé à
terre. Il fonctionne à la vapeur ou à l’électricité. La chaîne peut être fixée
aux deux extrémités et le toueur peut avancer dans les deux sens, le long de la
chaîne qui s’enroule et se déroule au passage des bobines. Sur les rivières, le
toueur est plutôt équipé d’un câble fixé seulement en amont. Pour remonter le
courant, le câble s’enroule sur l’énorme bobine du toueur.
Par exemple,
le canal de Saint-Quentin comporte le souterrain de Riqueval qui mesure
5,670kms de longueur creusé à même la roche de 1802 à 1810 à la demande de
Napoléon 1er. Au début du XIXème siècle, il fallait huit hommes pour
tirer une péniche d’un bout à l’autre du souterrain. Ils mettaient 12 à 14
heures pour traverser ce tunnel dans l’obscurité. Aujourd’hui, les péniches
transitent, moteurs éteints, tirées par un toueur, bateau treuil électrique,
alimenté par un courant continu de 600 volts. Le toueur se déplace à 2,5km/h en
se halant à l’aide d’une chaîne fixée au fond du canal. Lorsqu’on va dans le
sens du courant, il suffit de le laisser se dérouler.
Le long des canaux, le halage traditionnel
reste le seul moyen de tirer une péniche jusqu’à la fin du XIXème siècle. On
voit ensuite apparaître le halage mécanique sur les berges des canaux, avec
l’installation de tracteurs à vapeur, puis de locomotives à vapeur sur rails,
d’engins sur pneus, de tracteurs électriques et enfin de tracteurs à moteur. Leur
vitesse est de 4-5km/h. Apparait également l’aéropropulsion avec une hélice
hors de l’eau. Mais cette méthode ne marche pas.
L’introduction
du moteur a modifié l’architecture de la péniche. La cabine est passée à
l’arrière. La barre franche a laissé la place à la barre à roue (le
« macaron ») qui permet de diriger le bateau par un système d’arbre à
transmission jusqu’au safran. Le capitaine peut désormais piloter sa péniche
depuis un espace couvert : la timonerie. La réduction du gouvernail est
compensée par la force du moteur.
Parallèlement
à l’apparition du moteur, on assiste à un changement fondamental pour les
péniches : elles ne sont plus construites en bois mais en fer. L’invention
du moteur à combustion interne constitue une révolution pour les
mariniers : désormais la péniche est automotrice et libre de se déplacer
quand elle veut et où elle veut. Les automoteurs représentent 20% du parc des
péniches Freycinet en 1935 et pratiquement 100% en 1970. Aujourd’hui, les
haleurs, les toueurs et les remorqueurs sont les souvenirs d’une époque révolue.
La dernière péniche à être tirée par des chevaux disparait en 1969. De même,
les câbles d’amarrage autrefois en fer sont remplacés par du nylon, diminuant
les risques, notamment de perdre une jambe lors des manipulations de cordes.
Depuis, l’étendue du réseau navigable a peu évolué en
France. En 1986, environ 6% seulement des marchandises étaient transportées par
voie d’eau en France et 12% à l’extérieur de la France. On comptait alors 2800
bateliers. Une partie des réseaux a été modernisé pour permettre le passage des
grands automoteurs et des pousseurs à barges (bateaux de 1000 tonnes et plus).
Le trafic se concentre sur les axes à « grand gabarit » (il y a 1730
km de voies à grand gabarit en France aujourd’hui) : la Seine, le Rhin et
l’axe Dunkerque-Valenciennes. Malgré le faible coût de transport (18 centimes
pour une péniche contre 25 centimes par le rail et 45 centimes par la route) le
transport par péniches reste moins important que les autres transports...
Luttes sociales de la batellerie :
En 1879, le
président Jean Orevy Freycinet décrète que toutes les voies d’eau fassent le
même gabarit : nait alors la péniche Freycinet Sous la troisième
République, environ 35000 bateliers. La lutte du XXème siècle voit naitre les
artisans bateliers indépendants. En 1904 surviennent les premières batailles
pour créer un groupement général de la batellerie. L’affrètement se fait par les
mariniers eux-mêmes. Une première grève est brisée car les marchandises étaient
acheminées par le rail. La crise de 1930 voit diminuer le transport par
péniches. En août et septembre il y a eu des grèves générales dans plusieurs
villages. Des matelots de la Marine Nationale ont embarqué sur des remorqueurs,
rompant ainsi les barrages. Après une courte résistance, les mariniers ont fini
par reprendre le travail. Le 18 juillet 1936 ce fut la victoire du tour de rôle
instaurant ainsi un partage solidaire du travail. Les mariniers avaient un
numéro d’inscription et il fallait attendre que le marinier suivant prenne le
tour de fret avant l’autre marinier. Les mariniers ont aussi participé aux
grandes grèves du Front National. En 1973, la batellerie connaît des années de
crise quand la chute du fret diminue les transports fluviaux. Les mariniers
attendaient souvent un mois avant un nouveau transport. En 2000, arrêt du tour
de fret et mise en place de contrats à une bourse d’affrètement.
Rôle des péniches lors de la première guerre
mondiale :
Elles se sont transformées en
porte-canons ou en canonnières et servaient également à l’approvisionnement des
lignes de front. Des marins de la Marine Nationale étaient embarqués.
Source : le musée de la batellerie de Longueil-Annel
dans l’Oise, près de Compiègne.