jeudi 22 septembre 2016

Un nom du bord de la Seine : Bois le roi

Article rédigé par Michèle


Un nom du bord de la Seine : Bois le roi


                                                  cadastre napoléonien 1813  Arch. Dép. Seine et Marne




La présence romaine qui imprégna la vie gauloise en Seine et Marne et dont Melun reflète l’importance, n’a pu transformer complètement les noms locaux. C’est ainsi qu’un parfum de vieille Gaule flotte encore sur nos bords de Seine, il a pour nom « ritum ».

Dans un ancien article du « Tambour de Ville »  de la ville de Bois le roi, l’historien Georges Miroux nous entraine sur le chemin des investigations récentes. «Traditionnellement et depuis au moins 1260, date à laquelle une charte de Louis IX (St Louis) confirmant des dons de terres aux Mathurins de Fontainebleau utilise l’expression « Boscum Regis » (Bois du Roi) pour désigner le lieu dit aujourd’hui « Bois le roi », le nom de ce village a toujours été compris comme signifiant : « le bois appartenant au roi ».
Cette étymologie parut toujours évidente dans une région où les Capétiens puis les Valois possédaient des châteaux et des territoires de chasse. Cela explique qu’à la Révolution, Bois le Roi devint Bois la Nation…
Mais Georges Miroux poursuit : « Or il existe en gaulois un mot « ritum », très proche de termes de signification semblable bien attestés dans d’autres langues celtiques, que l’on peut traduire par « gué » et qui par déformations phonétiques successives a donné « ritum » puis «rei», «rai » ou « roi ».Cette dernière forme a bien été repérée dans un certain nombre de toponymes français où le mot « roi » au sens de souverain n’a rien à faire mais qui , en revanche, désignent des sites où la présence d’un gué est manifeste. »

Nous y voilà, la présence d’un gué.
Sur l’espace que l’on nomme la Haute-Seine, Montereau-Paris, il y avait 58 gués. Tous les dérivés s’y trouvent : Monte-reau, Mo-ret, Samo-reau, Thome-ry, Liv-ry, Ev-ry …Boissise le roi etc...
Bois le roi est lui même un bilinguisme, Bois étant latin et roi, celtique. Bois signifie un lieu non habité. Encore que Bois ne soit pas parfaitement établi comme étant du bois ou de la broussaille. Eugène Plouchart écrit en 1934 dans son « Petit vocabulaire du parler de Fontainebleau » qu’on peut dire « Bas ». Car on prononce dans la région, Bas le roi pour Bois le roi et ses habitants « les balleroitiers », les « balluriots » ou les « Berlottiers ». Il cite comme exemple les lettres patentes de 1725 qui écrivent que le bois Bréau est appelé Bas-Bréau. On entend dans l’accent  patois : « baslroué ».Une carte de la forêt de Fontainebleau signale Bas le roi. Mémoire orale et mémoire écrite se rejoignent sur une même géographie : un passage en bas.


Le gué lui-même dont il est question, a oublié ses origines et prend le nom romain de gué de La Cave, le gué dans le creux, fournissant une indication importante aux armées romaines. Ce gué très long, de près de 800 m, bordait les villages de Chartrettes et de Bois le roi. C’était un affleurement rocheux, solide, là où la roche mère était la plus dure et pouvait soutenir le poids de plusieurs bataillons à la fois. Le courant n’y était pas très fort et l’eau opposait peu de résistance aux pattes des chevaux. Il avait la particularité d’être le plus haut de la Haute- Seine, l’eau descendait à 0,46 cm à l’étiage et ne dépassait guère 1m de profondeur à la mauvaise période, sauf imprévu climatique comme de gros orages. On sait qu’un fantassin passait encore le gué à 1m d’eau et un cavalier à 1m30 sans être emporté par le courant.
Cette particularité en faisait un gué très convoité, en particulier par les armées dont la cavalerie était importante. Aussi Chartrettes, tout proche de Melun, s’était-il protégé très tôt contre les passages fréquents. Comme le révèle son nom, Ker-an-treiz, « Char » ou « Ker » évoque un lieu celte fortifié et le « trajectum «  un passage romain. Ces petites redoutes qui sont devenues par la suite des fermes ou des châteaux comme la ferme de Vau ou le château de Rouillon, furent utilisées par Melun pour protéger l’accès du gué et le réserver pour ses troupes, en empêchant des armées étrangères de le « rompre » c'est-à-dire de le rendre impraticable. Ces constructions en pierres étaient assez résistantes pour donner aux secours le temps d’accourir à l’appel.
En face, à Bois le roi aussi, l’insécurité devint croissante et aux alentours de 360, pour renforcer la sécurité du gué, l’administration romaine fit appel à une tribu de Sarmates qui s’installa et construisit un fortin pour épauler le gué, aujourd’hui un château. Des Sarmates occupaient déjà le territoire depuis Auxerre jusqu’à Paris. Ils laissèrent peu de traces dans les mémoires quoique souligne Lebedynsky, « l’implantation de ces intrus exotiques avaient été pourtant très remarquée de leurs temps ». Et bien à Bois le roi, ils laissèrent leur nom,  Sermaise.

Une autre particularité qui en faisait un gué très convoité  était la présence de nombreux îlots boisés sur son large socle. Les plus gros îlots comme l’île Saint Pierre, pouvaient servir de point d’appui aux armées qui y cachaient des guetteurs ou jetaient des têtes de pont pour gagner rapidement l’autre rive. Les autres  îlots plus petits et les bancs de sable qui serpentaient, offraient la meilleure façon de traverser en dessinant le bon oblique, celui qui offrait la plus grande sécurité dans le courant, si tenant fermement la bride de votre cheval, vous  mainteniez le regard « rivé » sur la rive d’en face, pour ne pas être ébloui par le scintillement de l’eau.
A chaque passage de gué, il y avait toujours la possibilité d’être trahi par le batelier des lieux qui décidait de privilégier l’armée ennemie. Cette probabilité est rappelée dans tous les manuels militaires.
Aujourd’hui, ne cherchez pas le gué, il est noyé sous 5m d’eau depuis 1957. La construction d’écluses sur la Haute Seine a monté le niveau de l’eau pour rendre la Seine navigable tout au long de l’année. La Seine est devenue un fleuve somptueux que l’on traverse grâce à ses ponts. Cependant, Bois le roi a gardé son nom.



                                                  Ecluse de Bois le roi mise en service en 1861, rehaussée et modernisée en 1957 

                                                            Ecluse de Bois le roi depuis le pont de Chartrettes 2012 Photo de l'auteur



Michèle S