Article publié par Michelle
LE CANAL ET L’ECLUSE DANS LA LITTERATURE
UN DECOR IDEAL POUR UN ROMAN POLICIER
Si dans la littérature et dans la poésie, le
canal inspire la tranquillité, la rêverie et l’idée de voyage contemplatif, il
a dans le roman policier, un tout autre rôle.
Il devient l’endroit où se transportent
et se révèlent toutes les passions et toutes les souffrances de la nature
humaine.
Georges Simenon illustre parfaitement
cette idée car il transforme les canaux en décor et révélateur des côtés
obscurs des passions humaines dans trois romans et deux nouvelles :
Les romans :
- Le charretier de la Providence (1931) G.
Simenon ;
le
livre de poche
- L’écluse n°1 (1933) G.
Simenon ; le livre de poche
-
La maison du canal (1933) G.
Simenon ; le livre de poche
Les nouvelles :
- L’affaire
du canal (1931) G.
Simenon ; nouvelles secrètes et policières ; Omnibus
- Le baron de l’écluse (1940)
G. Simenon ; le bateau d’Emile ;
Gallimard
A) LES FAITS :
Dans la plupart des cas, tout débute
par la découverte d’un corps, dans ou autour du canal.
Dans le Charretier
de la Providence, à l’écluse 14 de Dizy, près d’Epernay, deux cadavres sont retrouvés: Mary
Lampson, voyageant sur un yacht, le « Southern Cross », avec
son mari et son homme à tout faire : Willy qui sera la seconde victime.
Dans L’écluse n°1, près de Charenton,
deux hommes sont repêchés :
Gassin qui est tombé à l’eau parce qu’il était ivre, Emile
Ducrau, qui a reçu un violent coup de couteau dans le dos.
Dans La maison du
Canal, à Neroeteren, en Belgique, des canaux entourent une vaste
propriété dans laquelle l’héroïne, Edmée, et son père sont retrouvés morts.
Dans L’affaire
du canal, sur le chemin de halage du canal latéral de la Garonne qui
relie Toulouse au canal du midi, gît Piedboeuf, un ouvrier, à côté de son vélo
aux roues écrasées.
B) QUE CACHENT LES FAITS ?
1°) En
enquêtant dans le décor paisible, rectiligne et bien ordonné de ces canaux,
Maigret va entrevoir un univers que l’on ne peut que deviner.
« En passant devant les
péniches, on devinait par les écoutilles, des gens qui mangeaient dans la lueur
jaune des lampes à pétrole » Le
charretier de la Providence
2°) Qu’entend-il parfois ?
« Les voix qui se répondaient d’une péniche à l’autre… rauques,
hargneuses et les visages qu’éclairait parfois un feu, profondément marqués par
la fatigue « Le charretier
de la Providence »
3°) Que va-t-il découvrir ?
Maigret, en faisant apparaître la vérité va, en même temps,
mettre en évidence les noirceurs de l’âme humaine.
Dans Le
charretier de la Providence, Jean Darchambaux, le charretier est
soupçonné de meurtre et tente de se suicider. En réalité, il y a longtemps, il
était médecin et avait épousé Mary Lampson et, pour pouvoir la couvrir de
cadeaux, il avait tué sa riche tante. Condamné au bagne, sa femme l’avait
quitté. Devenu charretier par désespoir, il la retrouve par hasard lors de
l’arrivée du yacht avec son nouveau mari. Il la tue ainsi que Willy qui l’avait
vu rôder.
Il mourra des suites de sa tentative de suicide, dans son
écurie, entouré de ses chevaux qu’il aimait tant.
Dans L’écluse
n°1, se mêlent les conflits de classes sociales et les appétits
charnels des protagonistes.
Ducrau
est riche et a de nombreuses maîtresses, parmi lesquelles la femme de Gassin à
qui il a fait un enfant, une fille attardée mentale nommée Aline qui,
elle-même, a eu un enfant de l’aide- éclusier Bébert.
Quand il l’apprend,
Ducrau la tue ce qui entraîne son arrestation par Maigret.
Gassin apprenant les
infidélités de sa femme se suicide.
A
la lecture de ces différentes tragédies dissimulées, et face à tant de vies
dévastées, on comprend aisément que le cinéma se soit intéressé à l’adaptation
de L’écluse n°1.
En 1970 Claude Barma l’a adaptée avec
Jean Richard dans le rôle de Maigret.
En 1994 Olivier Schatzky donne à Bruno
Crémer le même rôle.
Dans
La maison du canal, on
retrouve la même noirceur.
Edmée a
été tuée par celui qui l’avait : Jef, qui, lui-même, se suicidera.
A partir de ce roman, des adaptations
sont faites pour la télévision.
La première, par Josef Rusnak en 1988.
La seconde, par Alain Berliner en 2003.
Les films
sont visibles sur le site de You tube ou de l’ INA
Dans L’affaire
du canal, c’est la cupidité qui est à l’origine du meurtre prémédité de
Piedboeuf qui transportait une importante somme d’argent qu’un braconnier lui avait
dérobée après l’avoir tué.
C) ROLE DU CANAL ET DE L’ECLUSE DANS
CES ŒUVRES
Tous ces récits ont un point commun :
la mise en évidence de tous les travers de l’espèce humaine : violence,
jalousie, infidélité, ingratitude, lâcheté, conscience de classe, sentiment de
supériorité et cupidité avec comme décor celui des canaux et des écluses.
L’endroit est particulièrement
adapté du fait de son isolement. Le canal est en général situé à l’écart du
réseau routier et donc loin des regards
indiscrets. Son tracé rectiligne
et ses eaux calmes et sereines inspirent la tranquillité et la sérénité.
Des rangées de hauts arbres participent à l’idée d’ordre et de protection bien
que dans ce contexte, chacun puisse imaginer que le pire advienne sans que personne ne le sache et sans laisser
de traces. Tout, ici, est propre à la dissimulation.
Les écluses, quant à elles, offrent
un autre décor plus animé mais souvent plus inquiétant. Les portes s’ouvrent et
se ferment, faisant jaillir de puissants
remous dans lesquels il est facile de s’engloutir ou de faire
disparaître un corps. L’idée de
profondeur et de vide qu’elles inspirent fascine en même temps qu’elle peut
angoisser.
Dans cet endroit, le rôle de
l’éclusier est, lui aussi, particulier. Il est celui qui regarde passer, sans
vraiment avoir le temps de voir, car il faut aller vite puisque les péniches doivent livrer le plus
rapidement possible leur cargaison. Il
est aussi celui qui permet aux hommes et aux chevaux épuisés de trouver repos
et éventuellement ravitaillement autour des cafés enfumés où l’alcool coule
parfois à flot ce qui ne manquera pas de faire des ravages et d’occasionner des
drames comme le montre René Bazin dans son livre « Le blé qui lève » Calmann-Levy 1907.
« Quatre jeunes hommes, portant un
carrelet et des lignes, partaient pour aller pêcher en contrebande dans
l’étang ; un éclusier, las d’avoir ouvert cinq fois l’écluse, en cette
nuit du samedi au dimanche, à des bateaux berrichons qui remontaient par le
canal du Nivernais, ronflait dans les draps du lit défait, tandis que la mère,
épuisée par la fièvre, exsangue, usée par la misère d’une vie sans trêve et
sans nul espoir, habillait, lavait et bourrait, dans la chambre moite d’une
buée d’air trop respiré, cinq enfants qui criaient. D’autres partaient à bicyclette, pour voir des femmes. Toute
cette population, désœuvrée pour un jour, cherchait à s’évader de sa
condition ordinaire, et, ne pouvant y réussir que très peu, elle enviait la
richesse comme une puissance souveraine, celle des bois, celle des châteaux,
celle qu’on peint dans les feuilletons, celle que racontent les livres. »
D) VISION PLUS
OPTIMISTE DU CANAL ET DE L’ECLUSE !
Heureusement - mais c’est une exception - Simenon
apporte une touche plus légère avec Le
Baron de l’écluse et permet ainsi au lecteur de se réconcilier avec les
canaux.
Jérôme Napoléon Antoine, baron désargenté
et joueur a remporté un yacht et deux millions à un marquis sur tapis vert. Il
quitte Rotterdam à bord de l’Antarès à destination de Monte-Carlo, accompagné
de sa femme Perle.
Une panne sèche les arrête à l’écluse
n°10 « Juvigny », sur le canal latéral de la Marne, près de Chalons
sur Marne.
Loin de l’atmosphère glauque des autres
romans et nouvelles, ici, pas de violence, pas de cadavre mais un simple jeu de
séduction. Pour récupérer de quoi subsister en attendant l’arrivée des deux
millions dus par le marquis, ce qui se produira relativement rapidement de
manière opportune, Jérome Napoléon se rapproche de Maria, la patronne
du « café de la marine » et Perle séduit un négociant en
champagne qui souhaite l’épouser.
Simenon nous fait alors entrer dans une
sorte de vaudeville qui séduira le cinéaste Jean Delannoy. Celui-ci réalisera
en 1960 un film dans lequel Michel Audiard offrira à Jean Gabin et à Micheline
Presle des dialogues truculents.
Avec ce roman, Simenon permet enfin une
approche optimiste de la batellerie et gomme quelque peu les noirceurs de l’âme
humaine qui ont constitué la trame de ses autres écrits sur ce thème.
Le lecteur pourra donc désormais se promener à
nouveau sur les chemins de halage et s’approcher des écluses, sans imaginer que
ses yeux effarés pourraient se poser sur un cadavre flottant sur les eaux de
ces canaux qu’il a tant de plaisir à arpenter et à contempler !!!
Même les enfants pourront y trouver de quoi sourire comme dans
le roman de Dominique Brisson : l’histoire d’amour de deux enfants au bord
d’une écluse. La demoiselle est fille de
mariniers et le garçon « d’à terre ».
Georges Chelon a, lui aussi,
chanté le canal en accordant une grande part au rêve en montrant au
« petit » que l’éclusier en est, pour lui, le dépositaire.
« Petit regarde, un bateau passe
Passent les rêves et l’évasion
Il glisse, le fleuve l’enlace
Il s’éloigne n’est plus qu’un sillon
Que déjà le courant efface
Tu voudrais bien l’accompagner
Tu me prends la main, mais il passe
Je reste, je suis l’éclusier
Vois déjà, un autre qui entre
Dans l’écluse ouverte pour lui
Il transporte dans son ventre
Ce que le travail a produit
Dans ce travail moi j’ai ma place
Mais te sentir à mes côtés.
Lui donne un sens et je
t’embrasse
Je reste je suis l’éclusier
Les bateaux vont par le monde
Les trésors cachés dedans
C’est mon âme qui vagabonde
Au gré des vagues et du vent
Les rêves, le temps les
efface
Ton grand-père était marinier
Mais je n’ai pas suivi sa trace
Je reste, je suis l’éclusier
Mais toi l’avenir me tracasse
Petit, feras-tu mon métier ?
Garde
le rêve, le bateau passe
Je
reste, je suis l’éclusier. »
Georges Chelon ; paroles.
net ou à écouter sur You tube
La compagnie Boufadou a créé un
conte musical qui donne, elle aussi, de l’éclusier une image plus positive que
celle donnée dans la littérature policière !
Le
potager de l’éclusier
Derrière une haie de laurier
Deux nains de plâtre rouge et blanc
Regardent sarcler l’éclusier
Regardent pousser l’origan
Deux poules un chat et
des lapins
Dans sa niche dort le vieux chien
Sur la table en fer du jardin
Le beurre la tasse et le pain
L’éclusier s’est levé très tôt
Pour arroser son potager
Et pour faire passer aux bateaux
L’écluse dès le jour levé
Pour repeindre l’ancre d’acier
Posée sur le bord de l’allée
En souvenir de son grand-père
Marin au temps des grandes guerres
L’éclusier dit qu’il est content
De faire ce métier d’éclusier
Car il n’entend pas trop de bruit
C’est ce qui lui plaît dans sa vie
Il écoute l’eau bouillonner
Sur les cailloux du déversoir
S’il ne ferme jamais ses volets
C’est pour l’entendre encore le soir
Dans le potager l’on chuchote
Est-ce le grand-père ou la hulotte
Les nains de plâtre, les ragondins
Les tomates ou la pluie qui vient
Tout cela n’a pas d’importance
L’éclusier dort tranquillement
Au milieu de son beau silence
Plus précieux que l’or et l’argent.
Paroles
et musique : Manuelle Campos, in « le voyage de de Fafa » par la
compagnie Boufadou - Cd album - 30 Mai 2003 - Editeur : le chant du monde
NB : ce CD album pour
enfants est disponible à la Médiathèque de Melun
Si l’éclusier de Georges Chelon
et celui de la compagnie Boufadou vivent tranquillement leur rêve, le batelier
d’Emile Verhaeren, lui, a besoin de bouger pour qu’il prenne forme.
Ainsi, deux types de voyage s’opposent (ou se complètent !)
par la pensée, le rêve ou par voie d’eau dans notre propos ! A vous de choisir !!!
Le chaland
Sur l'arrière de son bateau,
Le batelier promène
Sa maison naine
Par les canaux.
Elle est joyeuse, et nette, et lisse,
Et glisse
Tranquillement sur le chemin des eaux.
Cloisons rouges et porte verte,
Et frais et blancs rideaux
Aux fenêtres ouvertes.
Et, sur le pont, une cage d'oiseau
Et deux baquets et un tonneau ;
Et le roquet qui vers les gens aboie,
Et dont l'écho renvoie
La colère vaine vers le bateau.
Le batelier promène
Sa maison naine
Sur les canaux
Qui font le tour de la Hollande,
Le batelier promène
Sa maison naine
Par les canaux.
Elle est joyeuse, et nette, et lisse,
Et glisse
Tranquillement sur le chemin des eaux.
Cloisons rouges et porte verte,
Et frais et blancs rideaux
Aux fenêtres ouvertes.
Et, sur le pont, une cage d'oiseau
Et deux baquets et un tonneau ;
Et le roquet qui vers les gens aboie,
Et dont l'écho renvoie
La colère vaine vers le bateau.
Le batelier promène
Sa maison naine
Sur les canaux
Qui font le tour de la Hollande,
Et de la Flandre et du Brabant.
Il a touché Dordrecht, Anvers et Gand,
Il a passé par Lierre et par Malines,
Et le voici qui s'en revient des landes
Violettes de la Campine.
Il transporte des cargaisons,
Par tas plus hauts que sa maison :
Sacs de pommes vertes et blondes,
Fèves et pois, choux et raiforts,
Et quelquefois des seigles d'or
Qui arrivent du bout du monde.
Il sait par cœur tous les pays
Que traversent l'Escaut, la Lys,
La Dyle et les Deux Nèthes ;
Il fredonne les petits airs de fête
Et les tatillonnes chansons
Qu'entrechoquent, en un tic-tac de sons,
Les carillons.
Quai du Miroir, quai du Refuge,
A Bruges ;
Quai des Bouchers et quai des Tisserands,
A Gand ;
Quai du Rempart de la Byloque,
Quai aux Sabots et quai aux Loques,
Quai des Carmes et quai des Récollets,
Il vous connaît.
Il a touché Dordrecht, Anvers et Gand,
Il a passé par Lierre et par Malines,
Et le voici qui s'en revient des landes
Violettes de la Campine.
Il transporte des cargaisons,
Par tas plus hauts que sa maison :
Sacs de pommes vertes et blondes,
Fèves et pois, choux et raiforts,
Et quelquefois des seigles d'or
Qui arrivent du bout du monde.
Il sait par cœur tous les pays
Que traversent l'Escaut, la Lys,
La Dyle et les Deux Nèthes ;
Il fredonne les petits airs de fête
Et les tatillonnes chansons
Qu'entrechoquent, en un tic-tac de sons,
Les carillons.
Quai du Miroir, quai du Refuge,
A Bruges ;
Quai des Bouchers et quai des Tisserands,
A Gand ;
Quai du Rempart de la Byloque,
Quai aux Sabots et quai aux Loques,
Quai des Carmes et quai des Récollets,
Il vous connaît.
Et Mons, Tournay, Condé et Valenciennes
L'ont vu passer, en se courbant le front
Sous les arches anciennes
De leurs grands ponts ;
Et la Durme, à Tilrode, et la Dendre, à Termonde,
L'ont vu, la voile au clair, faire sa ronde
De l'un à l'autre bout des horizons.
L'ont vu passer, en se courbant le front
Sous les arches anciennes
De leurs grands ponts ;
Et la Durme, à Tilrode, et la Dendre, à Termonde,
L'ont vu, la voile au clair, faire sa ronde
De l'un à l'autre bout des horizons.
Oh ! la mobilité des paysages
Qui tous reflètent leurs visages
Autour de son chaland !
La pipe aux dents,
D'un coup de rein massif et lent,
Il manœuvre son gouvernail oblique ;
Il s'imbibe de pluie, il s'imbibe de vent,
Et son bateau somnambulique
S'en va, le jour, la nuit,
Où son silence le conduit.
Qui tous reflètent leurs visages
Autour de son chaland !
La pipe aux dents,
D'un coup de rein massif et lent,
Il manœuvre son gouvernail oblique ;
Il s'imbibe de pluie, il s'imbibe de vent,
Et son bateau somnambulique
S'en va, le jour, la nuit,
Où son silence le conduit.
Le chaland E.
Verhaeren ; poesie.webnet.fr/lesgrandsclassiques/poemes/...
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