mardi 15 mars 2016

Le Canal et l'écluse dans la litterature

Article publié par Michelle



LE CANAL ET L’ECLUSE DANS LA LITTERATURE

UN DECOR IDEAL POUR UN ROMAN POLICIER
      
 Si dans la littérature et dans la poésie, le canal inspire la tranquillité, la rêverie et l’idée de voyage contemplatif, il a dans le roman policier, un tout autre rôle.
        Il devient l’endroit où se transportent et se révèlent toutes les passions et toutes les souffrances de la nature humaine.
         Georges Simenon illustre parfaitement cette idée car il transforme les canaux en décor et révélateur des côtés obscurs des passions humaines dans trois romans et deux nouvelles :
            Les romans :
  - Le charretier de la Providence (1931)  G. Simenon ; le livre de poche
   - L’écluse n°1 (1933)   G. Simenon ; le livre de poche
           - La maison du canal (1933)  G. Simenon ; le livre de poche
                   
  Les nouvelles :
- L’affaire du canal (1931) G. Simenon ; nouvelles secrètes et policières ; Omnibus
          - Le baron de l’écluse (1940)  G. Simenon ; le bateau d’Emile ; Gallimard

A) LES FAITS :

        Dans la plupart des cas, tout débute par la découverte d’un corps, dans ou autour du canal.
       
        Dans  le Charretier de la Providence, à l’écluse 14 de Dizy, près  d’Epernay, deux cadavres sont retrouvés: Mary Lampson, voyageant sur un yacht, le  « Southern Cross », avec son mari et son homme à tout faire : Willy qui sera la seconde victime.
      
         Dans L’écluse n°1, près de Charenton, deux hommes sont repêchés :
Gassin qui est tombé à l’eau parce qu’il était ivre, Emile Ducrau, qui a reçu un violent coup de couteau dans le dos.       
          

Dans La maison du Canal, à Neroeteren, en Belgique, des canaux entourent une vaste propriété dans laquelle l’héroïne, Edmée, et son père sont retrouvés morts.
           Dans L’affaire du canal, sur le chemin de halage du canal latéral de la Garonne qui relie Toulouse au canal du midi, gît Piedboeuf, un ouvrier, à côté de son vélo aux roues écrasées.

B) QUE CACHENT LES FAITS ? 

         1°) En enquêtant dans le décor paisible, rectiligne et bien ordonné de ces canaux, Maigret va entrevoir un univers que l’on ne peut que deviner.
« En passant devant les péniches, on devinait par les écoutilles, des gens qui mangeaient dans la lueur jaune des lampes à pétrole » Le charretier de la Providence

          2°) Qu’entend-il parfois ?
« Les voix qui se répondaient d’une péniche à l’autre… rauques, hargneuses et les visages qu’éclairait parfois un feu, profondément marqués par la fatigue « Le charretier de la Providence »

           3°) Que va-t-il découvrir ?
Maigret, en faisant apparaître la vérité va, en même temps, mettre en évidence les noirceurs de l’âme humaine. 
     
            Dans Le charretier de la Providence, Jean Darchambaux, le charretier est soupçonné de meurtre et tente de se suicider. En réalité, il y a longtemps, il était médecin et avait épousé Mary Lampson et, pour pouvoir la couvrir de cadeaux, il avait tué sa riche tante. Condamné au bagne, sa femme l’avait quitté. Devenu charretier par désespoir, il la retrouve par hasard lors de l’arrivée du yacht avec son nouveau mari. Il la tue ainsi que Willy qui l’avait vu rôder.
Il mourra des suites de sa tentative de suicide, dans son écurie, entouré de ses chevaux qu’il aimait tant.

         Dans L’écluse n°1, se mêlent les conflits de classes sociales et les appétits charnels des protagonistes.
         Ducrau est riche et a de nombreuses maîtresses, parmi lesquelles la femme de Gassin à qui il a fait un enfant, une fille attardée mentale nommée Aline qui, elle-même, a eu un enfant de l’aide- éclusier Bébert.
 Quand il l’apprend, Ducrau la tue ce qui entraîne son arrestation par Maigret.
 Gassin apprenant les infidélités de sa femme se suicide.
      
        A la lecture de ces différentes tragédies dissimulées, et face à tant de vies dévastées, on comprend aisément que le cinéma se soit intéressé à l’adaptation de L’écluse n°1.
       En 1970 Claude Barma l’a adaptée avec Jean Richard dans le rôle de Maigret.
       En 1994 Olivier Schatzky donne à Bruno Crémer le même rôle.

       Dans La maison du canal, on retrouve la même noirceur.
Edmée a été tuée par celui qui l’avait : Jef, qui, lui-même, se suicidera.

       A partir de ce roman, des adaptations sont faites pour la télévision.
       La première, par Josef Rusnak en 1988.
       La seconde, par Alain Berliner en 2003.
                                  Les films sont visibles sur le site de You tube ou de l’ INA

           Dans L’affaire du canal, c’est la cupidité qui est à l’origine du meurtre prémédité de Piedboeuf qui transportait une importante somme d’argent qu’un braconnier lui avait dérobée après l’avoir tué.


C) ROLE DU CANAL ET DE L’ECLUSE DANS CES ŒUVRES   

           Tous ces récits ont un point commun : la mise en évidence de tous les travers de l’espèce humaine : violence, jalousie, infidélité, ingratitude, lâcheté, conscience de classe, sentiment de supériorité et cupidité avec comme décor celui des canaux et des écluses.
            L’endroit est particulièrement adapté du fait de son isolement. Le canal est en général situé à l’écart du réseau routier et donc  loin des regards indiscrets.       Son tracé  rectiligne  et ses eaux calmes et sereines inspirent la tranquillité et la sérénité. Des rangées de hauts arbres participent à l’idée d’ordre et de protection bien que dans ce contexte, chacun puisse imaginer que le pire advienne  sans que personne ne le sache et sans laisser de traces. Tout, ici, est propre à la dissimulation.

           Les écluses, quant à elles, offrent un autre décor plus animé mais souvent plus inquiétant. Les portes s’ouvrent et se ferment, faisant jaillir de puissants  remous dans lesquels il est facile de s’engloutir ou de faire disparaître un corps.  L’idée de profondeur et de vide qu’elles inspirent fascine en même temps qu’elle peut angoisser.

         Dans cet endroit, le rôle de l’éclusier est, lui aussi, particulier. Il est celui qui regarde passer, sans vraiment avoir le temps de voir, car il faut aller vite  puisque les péniches doivent livrer le plus rapidement  possible leur cargaison. Il est aussi celui qui permet aux hommes et aux chevaux épuisés de trouver repos et éventuellement ravitaillement autour des cafés enfumés où l’alcool coule parfois à flot ce qui ne manquera pas de faire des ravages et d’occasionner des drames comme le montre René Bazin dans son livre « Le blé qui lève » Calmann-Levy 1907.

         « Quatre jeunes hommes, portant un carrelet et des lignes, partaient pour aller pêcher en contrebande dans l’étang ; un éclusier, las d’avoir ouvert cinq fois l’écluse, en cette nuit du samedi au dimanche, à des bateaux berrichons qui remontaient par le canal du Nivernais, ronflait dans les draps du lit défait, tandis que la mère, épuisée par la fièvre, exsangue, usée par la misère d’une vie sans trêve et sans nul espoir, habillait, lavait et bourrait, dans la chambre moite d’une buée d’air trop respiré, cinq enfants qui criaient. D’autres partaient à  bicyclette, pour voir des femmes. Toute cette  population, désœuvrée  pour un jour, cherchait à s’évader de sa condition ordinaire, et, ne pouvant y réussir que très peu, elle enviait la richesse comme une puissance souveraine, celle des bois, celle des châteaux, celle qu’on peint dans les feuilletons, celle que racontent les livres. »

D) VISION PLUS OPTIMISTE DU CANAL ET DE L’ECLUSE !
       
Heureusement - mais c’est une exception - Simenon apporte une touche plus légère avec Le Baron de l’écluse et permet ainsi au lecteur de se réconcilier avec les canaux.
      
Jérôme Napoléon Antoine, baron désargenté et joueur a remporté un yacht et deux millions à un marquis sur tapis vert. Il quitte Rotterdam à bord de l’Antarès à destination de Monte-Carlo, accompagné de sa femme Perle.
       
Une panne sèche les arrête à l’écluse n°10 « Juvigny », sur le canal latéral de la Marne, près de Chalons sur Marne.
       
Loin de l’atmosphère glauque des autres romans et nouvelles, ici, pas de violence, pas de cadavre mais un simple jeu de séduction. Pour récupérer de quoi subsister en attendant l’arrivée des deux millions dus par le marquis, ce qui se produira relativement rapidement de manière opportune, Jérome Napoléon se rapproche de Maria, la patronne du « café de la marine » et Perle séduit un négociant en champagne qui souhaite l’épouser.
       
Simenon nous fait alors entrer dans une sorte de vaudeville qui séduira le cinéaste Jean Delannoy. Celui-ci réalisera en 1960 un film dans lequel Michel Audiard offrira à Jean Gabin et à Micheline Presle des dialogues truculents.
       
Avec ce roman, Simenon permet enfin une approche optimiste de la batellerie et gomme quelque peu les noirceurs de l’âme humaine qui ont constitué la trame de ses autres écrits sur ce thème.
         
Le lecteur pourra donc désormais se promener à nouveau sur les chemins de halage et s’approcher des écluses, sans imaginer que ses yeux effarés pourraient se poser sur un cadavre flottant sur les eaux de ces canaux qu’il a tant de plaisir à arpenter et à contempler !!!
Même les enfants pourront y trouver de quoi sourire comme dans le roman de Dominique Brisson : l’histoire d’amour de deux enfants au bord d’une écluse. La  demoiselle est fille de mariniers et le garçon « d’à terre ».



Georges Chelon a, lui aussi, chanté le canal en accordant une grande part au rêve en montrant au « petit » que l’éclusier en est, pour lui, le dépositaire.


« Petit regarde, un bateau passe
Passent les rêves et l’évasion
Il glisse, le fleuve l’enlace
Il s’éloigne n’est plus qu’un sillon
Que déjà le courant efface
Tu voudrais bien l’accompagner
Tu me prends la main, mais il passe
Je reste, je suis l’éclusier
Vois déjà, un autre qui entre
Dans l’écluse ouverte pour lui
Il transporte dans son ventre
Ce que le travail a produit
Dans ce travail moi j’ai ma place
Mais te sentir à mes côtés.
Lui donne un sens et je t’embrasse
Je reste je suis l’éclusier
Les bateaux vont par le monde
Les trésors cachés dedans
C’est mon âme qui vagabonde
Au gré des vagues et du vent
Les rêves, le temps  les  efface
Ton grand-père était marinier
Mais je n’ai pas suivi sa trace
Je reste, je suis l’éclusier
Mais toi l’avenir me tracasse
Petit, feras-tu mon métier ?
Garde le rêve, le bateau passe
Je reste, je suis l’éclusier. »

Georges Chelon ; paroles. net ou à écouter sur You tube

La compagnie Boufadou a créé un conte musical qui donne, elle aussi, de l’éclusier une image plus positive que celle donnée dans la littérature policière !

Le potager de l’éclusier


Derrière une haie de laurier
Deux nains de plâtre rouge et blanc
Regardent sarcler l’éclusier
Regardent pousser l’origan

Deux poules  un chat et des lapins
Dans sa niche dort le vieux chien
Sur la table en fer du jardin
Le beurre la tasse et le pain

L’éclusier s’est levé très tôt
Pour arroser son potager
Et pour faire passer aux bateaux
L’écluse dès le jour levé

Pour repeindre l’ancre d’acier
Posée sur le bord de l’allée
En souvenir de son grand-père
Marin au temps des grandes guerres

L’éclusier dit qu’il est content
De faire ce métier d’éclusier
Car il n’entend pas trop de bruit
C’est ce qui lui plaît dans sa vie

Il écoute l’eau bouillonner
Sur les cailloux du déversoir
S’il ne ferme jamais ses volets
C’est pour l’entendre encore le soir

Dans le potager l’on chuchote
Est-ce le grand-père ou la hulotte
Les nains de plâtre, les ragondins
Les tomates ou la pluie qui vient

Tout cela n’a pas d’importance
L’éclusier dort tranquillement
Au milieu de son beau silence
Plus précieux que l’or et l’argent.


Paroles et musique : Manuelle Campos, in «  le voyage de de Fafa » par                                            la compagnie Boufadou - Cd album - 30 Mai 2003 - Editeur : le chant du monde

NB : ce CD album pour enfants est disponible à la Médiathèque de Melun

Si l’éclusier de Georges Chelon et celui de la compagnie Boufadou vivent tranquillement leur rêve, le batelier d’Emile Verhaeren, lui, a besoin de bouger pour qu’il prenne forme.

Ainsi, deux types  de voyage s’opposent (ou se complètent !) par la pensée, le rêve ou par voie d’eau dans notre propos !   A vous de choisir !!!

Le chaland
Sur l'arrière de son bateau,
Le batelier promène
Sa maison naine
Par les canaux.

Elle est joyeuse, et nette, et lisse,
Et glisse
Tranquillement sur le chemin des eaux.
Cloisons rouges et porte verte,
Et frais et blancs rideaux
Aux fenêtres ouvertes.

Et, sur le pont, une cage d'oiseau
Et deux baquets et un tonneau ;
Et le roquet qui vers les gens aboie,
Et dont l'écho renvoie
La colère vaine vers le bateau.

Le batelier promène
Sa maison naine
Sur les canaux
Qui font le tour de la Hollande,                                                                               
Et de la Flandre et du Brabant.

Il a touché Dordrecht, Anvers et Gand,
Il a passé par Lierre et par Malines,
Et le voici qui s'en revient des landes
Violettes de la Campine.

Il transporte des cargaisons,
Par tas plus hauts que sa maison :
Sacs de pommes vertes et blondes,
Fèves et pois, choux et raiforts,
Et quelquefois des seigles d'or
Qui arrivent du bout du monde.

Il sait par cœur tous les pays
Que traversent l'Escaut, la Lys,
La Dyle et les Deux Nèthes ;
Il fredonne les petits airs de fête
Et les tatillonnes chansons
Qu'entrechoquent, en un tic-tac de sons,
Les carillons.
Quai du Miroir, quai du Refuge,
A Bruges ;
Quai des Bouchers et quai des Tisserands,
A Gand ;
Quai du Rempart de la Byloque,
Quai aux Sabots et quai aux Loques,
Quai des Carmes et quai des Récollets,
Il vous connaît.

Et Mons, Tournay, Condé et Valenciennes
L'ont vu passer, en se courbant le front
Sous les arches anciennes
De leurs grands ponts ;
Et la Durme, à Tilrode, et la Dendre, à Termonde,
L'ont vu, la voile au clair, faire sa ronde
De l'un à l'autre bout des horizons.

Oh ! la mobilité des paysages
Qui tous reflètent leurs visages
Autour de son chaland !
La pipe aux dents,
D'un coup de rein massif et lent,
Il manœuvre  son gouvernail oblique ;
Il s'imbibe de pluie, il s'imbibe de vent,
Et son bateau somnambulique
S'en va, le jour, la nuit,
Où son silence le conduit.

Le chaland  E. Verhaeren ; poesie.webnet.fr/lesgrandsclassiques/poemes/...












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